LeDouble et la préhistoire ; exposition de 1892

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Nommé en 1888 professeur titulaire d’Anatomie à l’Ecole de Médecine de Tours, il fait le discours de rentrée le 1er décembre sur « La Médecine et la chirurgie dans les temps préhistoriques ».  »Il faudrait voir de plus près si ce discours se fonde sur des travaux déjà réalisés par lui, et/ou sur des fouilles qu’il aurait pu avoir fait et/ou sur des données bibliographiques. » Il semble avoir fouillé à Mettray le dolmen de la Grotte des Fées (publié en 1892 dans le cadre de l’Exposition de Tours). O. Guelliot met cette fouille en parallèle de l’intérêt qu’il portait à la colonie de Mettray http://fr.wikipedia.org/wiki/Colonie_p%C3%A9nitentiaire_de_Mettray, mais on voit mal le lien si ce n’est géographique.

Ce qui est intéressant, c’est de constater que Pierre Thillaud, actuel paléopathologiste, le considère comme un précurseur dans sa discipline http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/medica/paleo.htm.  »Il faudrait également analyser les liens qu’il peut y avoir dans cette incursion dans la préhistoire, ses liens avec la Société d’Anthropologie de Paris, et ses propres travaux d’anatomie.  »

C’est surtout l’Exposition nationale de Tours de 1892 qui lui donnera l’occasion d’exposer ses talents de préhistorien, et la consécration viendra pendant l’exposition, le 5 septembre, lorsqu’il reçut Gabriel et Adrien de Mortillet, ainsi qu’une délégation de l’Ecole d’Anthropologie de Paris.

Il est associé aux préparatifs de l’Exposition dès ses débuts (cf. Journal officiel de l’Exposition, fonds Watier, C116L) ; trois sonnets de lui (Du Pleixe) paraissent dans les premiers numéros (cf. LeDouble poète). A.F. Ledouble, « lauréat de l’Institut » est surtout membre de la Commission de la Section de l’Art rétrospectif (n°8, p.2). Cette section fut la dernière à s’installer au Palais du Champ-de-Mars, début juin, non loin des attractions (n°17, p12). Ce retard vient probablement de dissensions au sein de la section, les amateurs de Renaissance appréciant peu l’art primitif et la reconstitution voulue par LeDouble de la Grotte des Fées de Mettray, « un peu sauvage il est vrai, mais pleine de pittoresque et d’enseignement » (cf. n°30 p. 6-7). Dans un article consacré à la Science préhistorique, il est question de la qualité de la reconstitution de la Grotte des fées et de son environnement, mais aussi de l’abbé Brung et du Grand-Pressigny, etc. (n°24, p2-3). La scène préhistorique est surtout la seule scène de l’histoire de la Touraine à avoir vu le jour (le projet initial était de retracer l’histoire de la Touraine par différents tableaux). Quoiqu’il en soit, elle s’avère un grand succès populaire (n°19, p8). Début août 1892, Le Double avait vendu plus de 7000 exemplaires de sa brochure, témoignant du succès de son attraction ; début septembre, on en était à 10000… Adrien de Mortillet (le fils) vint visiter la fameuse reconstitution (début août), et c’est alors que fut décidée une visite de l’Ecole d’Anthropologie de Paris pour le mois de septembre (n°26, p.8). Dans le n°28 du 27/8, apparaît en page 2 le programme officiel de cette visite, programmée les 4 et 5 septembre, sous l’égide de la Ville de Tours, de l’Association pour l’enseignement des sciences anthropologiques et de l’Ecole d’Anthropologie, sous la forme d’un cours de MM. G. et A. de Mortillet. Le n°29 annonce plus en détail cet « événement scientifique à Tours », définit ce que sont les sciences anthropologiques (p.1-2), montre une gravure de la Grotte des Fées et de la reconstitution qui est présentée à l’exposition (p.5), et présente cette visite comme la suite (la revanche ?) de la visite de G. de Mortillet et Philippe Salmon à Grand-Pressigny en 1886, où ils avaient été reçu par Auguste Léveillé et Edmond Chaumier… (p. 1-2). Jalousie entre Le Double et Edmond Chaumier ? Toujours est-il que ce dernier s’excusera de ne pouvoir venir le 5 septembre pour la manifestation officielle, comme Jules Brissonnet… (n°30, p.2).

Le n°30 du journal relate en détail ce qui s’est passé le 5 septembre (article de F. Delerné). La délégation de l’Ecole d’Anthropologie de Paris, d’une quinzaine de membres, se composait de Gabriel de Mortillet et d’Adrien son fils, d’E. Piketty, du Dr. Kotton de Bernet (ou Cotton ?), de Caron, directeur de l’Ecole de Bernau, d’Oscar Schmitt, ingénieur, de Louet, artiste peintre distingué, de Doré-Delente et de Doré son frère, « qui découvrirent des crânes de l’époque quaternaire et enrichirent ainsi les documents anthropologiques, de Baziadoly, paléographe, de La Penne, membre très actif de l’Ecole d’Anthropologie de Paris, de Normand, géologue, etc.

La délégation partit dès 7h du matin pour Mettray où se trouve le plus important monument mégalithique du département, accompagnée de Belle, Ledouble, du Dr. Vedrenne, Legrix, ancien conservateur du Musée archéologique de Tours, Sergent, collectionneur d’objets de l’âge de la pierre, Landais, conservateur du musée ethnographique de Tours, Duboz, conservateur de la bibliothèque, etc. On parle d’une longue file de voitures (à cheval ?). Se trouvèrent également sur place pour écouter Adrien de Mortillet juché sur le dolmen , l’abbé Bosseboeuf, secrétaire général de la Société Archéologique de Touraine, Paul Briand, conservateur du musée de cette société, Bousrez, amateur photographe et membre de la SAT ; Georges Chevrel, secrétaire de la Société de géographie de Tours et du Centre, Boisramé, trésorier de cette société, docteur Parisot, membre ; Denis et d’autres membres de la Ligue de l’Enseignement ; plusieurs étudiants de l’Ecole de Médecine, plus une centaine d’auditeurs. Des notabilités s’était fait excuser : Edmond Chaumier, M. Berthier, notaire à Preuilly, qui a fouillé les grottes de Fontgombault, Jules Brissonnet, etc. Sur la demande de l’assistance, Ledouble compléta les explications d’Adrien de Mortillet en expliquant comment les dolmens avaient été érigés, qu’ils n’étaient pas des autels sacrificiels et qu’on trouvait à Mettray des vestiges de tumulus ; il milita aussi pour que le dolmen fût dégagé des arbres qui l’entourent. Puis Bousrez, libraire et photographe amateur, offrit à Gabriel de Mortillet une collection photographique des principaux monuments mégalithiques de la région. Au retour, le cortège s’arrêta à la Colonie de Mettray (colons et maison de correction La paternelle), malgré l’absence de M. Cluze, le directeur.

L’après-midi du 5 septembre, eut lieu une visite à la Société Archéologique de Touraine (collection et bibliothèque), en présence de M. Léon Palustre, président, et de M. Paul Briand, conservateur, puis au Musée ethnographique de la ville, dans la salle Jolivet (nom du donateur, ancien mécanicien de la flotte, habitant Preuilly), en présence de M. Landais, conservateur. Puis le cortège se dirigea vers l’exposition, pour aller écouter la conférence de Gabriel de Mortillet, près de la reconstitution de la Grotte des Fées. L’y attendaient, Pic-Paris, Cador, Didier, Lemaître, Mercier, Robert, Schmitt, et d’autres membres du Conseil municipal (le maire s’était fait excuser) ; l’abbé Brungmédecin principal et plusieurs médecins militaires du 9ème Corps, Barré, ancien médecin de la flotte, etc.

Le dîner-banquet fut l’occasion pour Ledouble de porter un toast :

« Messieurs,

« Tout en vous remerciant des paroles aimables et si flatteuses que vous m’avez prodiguées à plusieurs reprises pendant cette journée, laissez-moi vous dire que je ne saurais les accepter sans réserve.

« Si mon œuvre a quelque mérite, comme vous vous êtes plu à l’affirmer, l’honneur en revient surtout à la Société d’Anthropologie de Paris, à MM. les conservateurs des musées nationaux de Saint-Germain-en-Laye et du Trocadéro, et aux artistes tourangeaux réputés, MM. Prath, Varenne, Gagneux, Landais et Madelain.

« C’est à la Société d’Anthropologie de Paris que j’ai puisé les principes des sciences qui, par leur nature et par leur but, ne séparent pas l’investigation et l’expérimentation de la vérité abstraite.

« C’est à M. Hamy, Landrin et de Mortillet que je dois de posséder la plupart des objets et les personnages qui donnent une idée si exacte des habitudes, des mœurs et de la conformation des habitants des cités terrestres à l’époque de la pierre polie.

« Ce sont MM. Prath, Varenne, Gagneux, Landais et Madelain qui ont groupé, sous un pittoresque paysage, avec autant de goût que d’intelligence, ces objets et ces personnages.

« Quelques-uns de mes collègues de la Commission de l’Art Rétrospectif ont émis primitivement, il est vrai, l’opinion que le rapprochement des produits grossiers de l’industrie néolithique et des chefs-d’œuvre de la Renaissance et des siècles suivants serait déplorable au point de vue esthétique. J’ai donc été contesté au début. Je ne m’en plains pas. C’est une bonne fortune pour un homme qui s’occupe de science d’être contesté, rudement contesté. Il est forcé par cela même d’apporter plus de soin et d’attention dans ses compositions, de donner à ses démonstrations une ampleur et une précision qu’elles n’avaient pas d’abord. C’est ce que j’ai fait. Au surplus, je le proclame hautement, jamais l’appui, bienveillant et efficace, de la Municipalité et de notre président, l’honorable et estimé M. Belle, ne m’a manqué.

« Mais à quoi bon insister ? N’ai-je pas, Messieurs, conquis vos suffrages et ceux du grand public, ainsi qu’en témoignent votre présence ici qui m’honore extrêmement, et le tirage à dix mille exemplaires de ma brochure explicative, achetés, en majeure partie, par les intelligents artisans de la glèbe et de l’atelier.

« Il y a quelques jours, dans une autre enceinte, mon confrère le docteur Héron, dont je suis trop l’ami pour dire tout le bien que j’en pense, protestait, au nom de l’Histoire, contre le reproche d’apathie et d’indifférence adressé par Jules César aux tourangeaux.

« Rien n’est moins fondé en effet, que ce reproche. Les fêtes succèdent aux fêtes, et les habitants de Tours ne cessent d’acclamer avec la même ardeur enthousiaste ceux qui travaillent du corps ou de l’esprit au relèvement de la France. Dès que votre projet d’excursion dans la vallée de la Loire a été connu, vous avez été, Messieurs, impatiemment attendus et vous avez pu constater, vous-mêmes, avec quelle attention soutenue, soulignée de chaleureux applaudissements, a été écoutée la conférence faite cet après-midi par notre vénéré doyen, le grand maître de la paléontologie française, M. Gabriel de Mortillet.

« Pouvait-il en être autrement ? N’êtes-vous pas, Messieurs, dans la patrie de Rabelais ? De Rabelais qui a mis dans la bouche de son héros de prédilection, de Pantagruel mourant, cette recommandation suprême : « Acquiers-toy la parfaicte cognoissance de l’aultre monde qui est l’homme. »

« Le conseil pour n’être pas nouveau – c’est le  »gnwqi seauton » (en lettres grecques) de la sagesse antique – est encore bon à suivre.

« Ce que l’homme connaît toujours le moins, c’est lui-même.

« Il a mesuré les cieux, calculé le poids de la terre, fait du Jupiter Tonnant de ses aïeux un simple messager qui porte, en un clin d’œil, sa pensée et même sa parole d’une extrémité du monde à l’autre, obligé le  »blond » Phoebus et la  »pâle » Phaebé à peindre leur propre image, la sienne, tout ce qu’il veut, au fond d’une chambre obscure. Que dis-je ? Il les a réduits à l’humble rôle de copistes de nos vieux manuscrits.

« Il a dompté tous les éléments : l’air et les vents lui obéissent en esclaves, et bientôt des navires d’un nouveau genre traceront leurs sillage dans les plaines de l’atmosphère, aussi sûrement que le font depuis longtemps les vaisseaux sur la vaste étendue des Océans.

« Oui, l’homme a créé ces merveilles, mais il n’a toujours que des notions imparfaites sur son corps, son cœur, son intelligence, le principe de vie qui l’anime ; il ignore son origine, son berceau, son histoire.

« Or connaître tout cela, ne serait-ce pas connaître « le comment et le pourquoi des choses ? »

« C’est le but, Messieurs, que vous poursuivez, appelant à vous , pour l’atteindre plus vite, anatomistes, pathologistes, ethnographes, historiens, archéologues, linguistes, géologues, paléontologistes, folkloristes et démographes, donnant à tous et recevant de tous dans un échange fécond. Telle que vous l’avez constituée, l’anthropologie est devenue le lien qui réunit les deux grandes sciences des phénomènes organiques, la biologie et la sociologie, soit que l’on considère la vie du point de vue individuel ou du point de vue social.

« Touchant à tant de sujets, elle s’adresse à tous.

« Grâce à vous, Messieurs, elle a maintenant de fervents adeptes dans le beau et plaisant pays de Touraine ! Et ce n’est pas trop s’avancer, je crois, que de supposer que d’ici peu, peut-être, il sera possible d’y fonder une société d’anthropologie, imbue des aspirations et des tendances libérales et généreuses de celles de Paris, de Lyon, de Bordeaux et de Toulouse.

« Pénétrés de ces idées et de cet espoir, je lève mon verre en votre honneur.

« Je bois au créateur et à l’infatigable apôtre de l’archéologie préhistorique, à M. Gabriel de Mortillet, qui, au Parlement, à la Mairie de Saint-Germain-en-Laye, au Musée des Antiquités Nationales, à l’Ecole d’Anthropologie, à celle des Hautes Etudes, a su s’attirer l’estime, la sympathie, le respect et la considération de tous. Je lui souhaite longue vie et prospérité. Puisse-t-il former encore pendant longtemps de nombreuses générations d’élèves pour la plus grande gloire de la science française et le plus grand bien de la République et de l’humanité.

« Je bois à M. Adrien de Mortillet, professeur suppléant d’ethnologie comparée à l’Ecole d’Anthropologie de Paris, et à notre cher et dévoué président, M. Belle. »

L’article se termine en précisant que « nos hôtes nous ont quittés par le rapide de minuit 45 »…

Le 15 décembre, à la fermeture de l’Exposition, le ministre Léon Bourgeois visita la section des Arts rétrospectifs avec Belle, et félicita le Pr. LeDouble (n°36, p.3). Il sera nommé Officier de l’Instruction Publique (n°36, p. 4)

La Société d’Anthropologie de Tours ne vit jamais le jour… En revanche, il fut admis comme membre correspondant de l’Ecole d’Anthropologie de Paris en 1894, comme Fournier, le Maire de Tours, et Bousrez.

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