Sérothérapie

Littéralement, utilisation thérapeutique de sérum d’animaux immunisés, voire de patients convalescents.

Voire aussi les Epopées liées à la sérothérapie

La première injection de sérum animal à un patient (tuberculeux) fut pratiquée par Charles Richet le 6 décembre 1890 à l’Hôtel-Dieu, à Paris. Voir aussi sérum antituberculeux.

Le premier succès de la sérothérapie fut en réalité obtenus par Emil von Behring et Kitasato en Allemagne dans le traitement du croup (diphtérie laryngée). La tradition retient la date de Noël 1891. C’est ensuite Emile Roux, Charles Martin et Auguste Chaillou en France (Institut Pasteur) qui démontrèrent en 1893 sur 300 enfants les bénéfices que l’on pouvait tirer de
cette sérothérapie dans le traitement du croup.

Sérothérapie antivenimeuse : d’abord au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris par Physalix, puis Albert Calmette

A Tours, c’est à Clocheville (dans le service de Médecine, Bezard étant le médecin-chef et Grasset, son gendre, le médecin-adjoint) en 1894 que commença l’utilisation de la sérothérapie, à l’occasion d’une épidémie de diphtérie (Bezard et Grasset.  »Quelques observations sur le traitement de la diphtérie à l’Asile de Clocheville et dans la ville de Tours ». Tours, imp. Dubois, 1895). Le sérum leur avait été ramené de l’Institut Pasteur par René Boureau, qui s’était formé à la bactériologie pour l’occasion.

Plus tard, Robert Debré fit sa thèse sur la sérothérapie anti-méningococcique dans la méningite cérébro-spinale pui développa avec Gaston Ramon (et Charles Nicolle ?) la sérothérapie de la rougeole avec du sérums de convalescents.

Voir aussi épopées liées à la sérothérapie

== La sérothérapie avant la sérothérapie ==

Au  »’XVIIe siècle »’, Denis de Montpellier essaya de guérir un fou avec du sang d’agneau.

 »’De Belina »’ (dans un article de 1870) et  »’Delange »’ (thèse de 1891) pensent à l’hématothérapie dans le but de remédier à l’anémie et à l’empoisonnement (expériences empiriques)

 »’1877 »’ :  »’Raynaud »’ fait des expériences sur la transmission de la vaccine par l’intermédiaire du sang. Il avait introduit, dans la jugulaire d’une génisse, 150 g de sang fourni par une autre génisse en pleine éruption vaccinale, 28 jours après il constatait que la première génisse était réfractaire à une inoculation de cow-pox. Il fit alors quelques essais de transfusion chez les enfants par le sang de génisse ayant fait du cow-pox. Mais les résultats furent négatifs (cf. son article in  »Comptes-rendus de l’Académie des sciences », 5 mars 1877)

 »’1884 »’ :  »’Grohmann »’ montra que le plasma sanguin, sans l’intervention de globules blancs ou rouges, exerçait une action défavorable sur la vie des micro-organismes. Il avait constaté que la bactérie charbonneuse perdait de sa virulence à l’égard des lapins, si on la mettait en contact avec le plasma du sang de chien.

 »’1887 »’ :  »’Fodor »’, un médecin hongrois, dans une communication à l’Académie des sciences de Budapest (le 21 juin) établissait que le sang avait la propriété de détruire les bactéries, et il opposait cette puissance chimique du sang à l’ingénieuse théorie de  »’Metchnikoff »’ sur la phagocytose ainsi qu’à la théorie de  »’Wyssokovitch »’ qui attribuait au foie et à la rate la propriété de détruire les microbes injectés dans le système circulatoire.

 »’1888 »’ :  »’Nuttall »’ démontra plus précisément la puissance bactéricide du sang mais dans l’opinion de combattre le travail de Metchnikoff sur la phagocytose. Aucunes expériences ne répondait plus à cette question : Comment les microbes meurent-ils dans le sang où on les a injectés ?

== La découverte du principe de sérothérapie ==

Dès  »’1881 »’ (ou 1884, ça dépend des sources) Richet, dans son cours d’agrégé de physiologie à la faculté de médecine, avait déjà émis l’idée d’un principe de sérothérapie. Après les expériences de Chauveau qui démontra que le mouton était réfractaire au charbon, Richet proposa l’idée que l’injection du sang de mouton algérien à un mouton français pourrait rendre ce dernier réfractaire à l’infection. Rondeau, son préparateur, fit l’expérience mais autrement qu’il l’avait indiqué : il injecta à un mouton français du sang de chien, animal reconnu pour être réfractaire au charbon, et inocula ensuite le charbon au mouton transfusé. L’expérience échoua, le mouton mourut (l’expérience fut communiquée à la Société de Biologie durant la séance du 20 novembre 1881). On pensa que le sang des animaux réfractaires ne conférait aucune immunité et on en resta là.

En  »’1888 »’, parmi les chiens qui arrivaient au laboratoire de physiologie, il y en avait un qui avait une tumeur cancéreuse non ouverte : « Comme nous nous demandions à cette époque (comme encore aujourd’hui) si l’origine du cancer n’est pas microbienne, nous cherchâmes dans la tumeur un microbe que nous trouvâmes effectivement et le cultivâmes. Dans l’espoir de pouvoir transmettre le cancer à d’autres chiens nous le leur injectâmes, mais ce fut un échec complet. Il se forma, il est vrai, une tumeur, mais c’était un abcès qui se résorba après suppuration. […] J’eus alors l’idée de faire avec le bacille (Staphylocoque pyoseptique) inoffensif chez le chien et mortel chez le lapin, l’essai dont j’avais parlé cinq ans auparavant dans mon cours : le chien étant insensible à ce poison, on immunise le lapin en lui injectant du sang de chien. » (Source ?). Cette expérience fut un échec, d’une part parce qu’ils avaient directement injecté le sang en intraveineuse, mais d’autre par ils avaient utilisés du « sang complet ». Ils essayèrent par la suite de faire les injections sous la peau du ventre d’un lapin et l’animal resta en vie.

Ils voulurent publier leur découverte dans les Archives de Médecine Expérimentale, mais son éditeur, Isidore Straus (1845-1896) refusa. Selon Richet celui-ci le détestait pour une raison inconnue.

Le  »’1er septembre 1888 »’ : Héricourt publie sur le sujet, sans vraiment énoncer leur découverte : « les microbes » dans la Revue des Deux Mondes.

 »’5 novembre 1888 »’ : communication de Charles Richet et Jules Héricourt par une note lue par Verneuil à l’Académie des Sciences :  »De la transfusion péritonéale et de l’immunité qu’elle confère » (1888, CVII, pp.690-692). C’est la naissance du concept de sérothérapie.

Voir l’article de Kenton Kroker « Immunity and Its Other: The anaphylactic selves of Charles Richet » dans Studies in History and Philosophy of Science Part C: Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences
Volume 30, Issue 3, September 1999, Pages 273-296. Il y est discuté le fait qu’il se serait crédité la découverte de la sérothérapie.

== Les premières recherches de Richet et Héricourt : la sérothérapie dans le traitement de la tuberculose (1888-1890) ==

Grande discussion s’entama entre les deux hommes pour savoir de quelle maladie ils allaient traiter avec la sérothérapie : le charbon, la diphtérie ou la tuberculose. Richet penchait pour la diphtérie mais à cause de l’incendie du laboratoire (1887 ?), ils étaient alors installés dans un laboratoire défectueux où les expériences se déroulaient dans une salle commune, sans chenil pour les animaux et avec un personnel insuffisant. Héricourt le mit en garde de manipuler cette maladie dans ce milieu. La tuberculose est plus maniable, d’évolution plus longue. Les animaux étaient alors envoyés hors de Paris.

En  »’1888 »’, ils ne pouvaient pas se conformer exactement à l’indication de l’hématothérapie pyoseptique et employer du sang d’animaux vaccinés contre la tuberculose. Comme le sang des animaux normaux montrait une relative efficacité, ils pensaient faute d’expériences antérieures que le sang du chien était réfractaire à la tuberculose. Ils firent alors des expériences avec la tuberculose aviaire plus maniable sur des lapins.

Dès  »’février 1889 »’, ils pouvaient montrer que le sang de chien normal retardait, voire dans quelques cas, arrêtait l’évolution de la tuberculose aviaire chez le lapin :

 »’23 février 1889 »’ : communication à la Société de Biologie, Richet et Héricourt,  »Influence de la transfusion péritonéale du sang de chien sur l’évolution de la tuberculose chez le lapin ». Ils démontrèrent que la transfusion péritonéale de sang de chien normal confère aux lapins, contre la tuberculose aviaire une demi-immunité.

 »’15 novembre 1890 »’ : communication Richet et Héricourt à la Société de Biologie sur une nouvelle série d’expériences sur la tuberculose, application de « la double réfraction ou double immunité » : si le sang d’un chien normal préservait dans une certaine mesure, les lapins contre la tuberculose, le sang d’un chien tuberculisé les préservait plus efficacement encore. (« De l’immunité contre la tuberculose par les transfusions de sang de chien tuberculisé »,  »Comptes-rendus de la Société de Biologie », 1890, pp.630-634)

 »’Principe de la double immunité »’ : Renforcer l’immunité naturelle par une inoculation virulente, et transfuser aux animaux sensibles à l’injection ce sang doublement réfractaire. Le sang des chiens normaux possédait une action retardant l’évolution de la tuberculose aviaire chez le lapin, et le sang des chiens convalescents de tuberculose aviaire exerçait une action préventive contre cette même infection chez le lapin.

== 1890 : la sérothérapie en France et en Europe ==

En  »’1890 »’, les recherches sur la sérothérapie se font à la Faculté de médecine de Paris, à l’Institut Pasteur et à l’Institut d’hygiène de Berlin.

Au même moment que Richet et Héricourt poursuivaient leurs expériences sur la sérothérapie antituberculeuse,  »’Bouchard »’ et  »’Charrin »’ poursuivaient des recherches au laboratoire de pathologie général de la faculté de médecine. Ils faisaient de même avec le bacille pyocyanique. Ils conclurent ainsi : « La transfusion du sang de chien n’a donc pas réalisé une vaccination complète, mais il semble néanmoins qu’elle a modifié la résistance. ». Charrin faisait remarquer dans cette note que le sérum avait les mêmes effets que le sang total (transformation du concept d’hématothérapie en sérothérapie, plus facile à pratiquer en thérapeutique) (BOUCHARD, « Les prétendues vaccinations par le sang » in  »Les microbes pathogènes », 1vol., In-12, Paris, 1892, p.206-243)

En  »’décembre 1890 »’ paraît les travaux de  »’Behring »’ et de  »’Kitasato »’ sur l’extension de la méthode d’immunisation à la diphtérie et au tétanos. Voici comment réagit Richet :
« Si je mentionne formellement le fait, c’est parce que M. BEHRING semble s’attribuer le mérite d’avoir imaginé le sérum comme procédé d’hématothérapie, tandis que c’est évidemment à MM. BOUCHARD et CHARRIN que cela est dû. »
RICHET, Charles, « De l’hématothérapie en général – historique, bibliographie, théorie et faits » in  »Physiologie – travaux du laboratoire », tome 3, p.243.

Pour Héricourt, comme pour Richet, Behring connaissait depuis le début leurs travaux, au minimum par le discours de Bouchard sur « les prétendues vaccinations par le sang ». Pour lui il s’agissait juste d’un simple principe de suralimentation, alors que depuis 1888, ils avaient énoncé le principe général de l’immunité de la sérothérapie.

== Les premiers essais sur l’homme ==

Après la connaissance des observations de  »’Bouchard »’ sur les propriétés du sérum, Richet et Héricourt injectèrent du sérum de chien à des malades tuberculeux :

 »’6 décembre 1890 »’ : Première transfusion sérothérapique sous la forme d’une injection cutanée de 1cc de sérum de chien à un phtisique, un contremaître estampeur âgé de 50 ans (fait par Héricourt lui-même et non pas par Richet comme il le dit dans ses mémoires) : « Expériences sur la vaccination antituberculeuse » in  »Comptes-rendus de la Société de Biologie », 1890, II, pp.627-630

Pour simplifier ils donnèrent le nom d’ »’hémocyne »’.

L’expérience fut un échec. Pendant quelques semaines, ils crurent tenir le traitement contre la tuberculose. L’état des 3 ou 4 malades s’améliorait sur 6 semaines mais ce n’était qu’une amélioration passagère.

 »’De décembre 1890 à janvier 1891 »’, de nombreuses injections de sérum furent pratiquées par Héricourt, Langlois et Saint-Hilaire :

Héricour, Langlois, Saint-Hilaire, « Effet thérapeutique des injections de sérum de chien (hémocyne) chez l’homme, dans le cours de la tuberculose » in  »Comptes-rendus de la Société de Biologie, » 1891, pp.45-53 (cf. Richet,  »Physiologie-travaux du laboratoire », t.4, pp.305-313)

En  »’septembre 1890 »’, l’Académie de Médecine donna connaissance du dépôt d’un pli cacheté par  »’Bertin »’ et  »’Picq »’ de Nantes. Le 19 janvier 1890, les deux hommes avaient, quelques mois avant Richet et Héricourt, essayé l’application de l’hématothérapie à la thérapeutique humaine. Ils pensaient utiliser le sang de chèvre réputé réfractaire à la tuberculose pour soigner un phtisique. Les résultats ne furent pas au rendez-vous.

== Suite des recherches sur la sérothérapie de la tuberculose ==

Héricourt et Richet pensaient que leurs insuccès étaient dus au bacille aviaire qui cultivé dans un milieu artificiel, ressemblait au bacille humain (dans sa morphologie et dans son action virulente). En s’humanisant il devenait de plus en plus dangereux pour le chien et finissait par le tuer comme le bacille humain. Puis de nouvelles recherches leurs montrèrent que le chien n’était en aucune façon réfractaire à la tuberculose humaine. Le sérum administré ne possédait donc pas les propriétés requises pour une sérothérapie.

La différenciation de la tuberculose aviaire et de la tuberculose humaine, comme deux espèces distinctes, changea la donne. La question qui se posait alors, était de savoir si les chiens réfractaires à la bacillose aviaire l’étaient aussi contre la tuberculose humaine. Lors d’expériences sur des singes, Richet et Héricourt avaient montré que cet animal, tout-à-fait réfractaire à la tuberculose aviaire, l’était dans une certaine mesure pour la tuberculose humaine. Les singes non vaccinés mourraient deux fois plus vite que les singes vaccinés.

5 décembre 1891 : communication à la Société de biologie par Richet et Héricourt, « De l’état réfractaire du singe à la tuberculose aviaire », 1891, III, pp.802-804.

« En étudiant la tuberculose du singe, nous avons découvert que le singe était réfractaire à la tuberculose aviaire. Alors que les plus petites doses de virus tuberculeux humains déterminent une mort rapide […] les doses de tuberculoses aviaires ont vacciné l’animal, car après il succombait. Mais cela n’empêchait pas la mort, elle en retardait juste la durée de 50%. » (Dossier Biographique de Ch. Richet, Académie des Sciences)

Début  »’décembre 1891 »’, l’expérience fut alors tentée sur des chiens. Là aussi les résultats furent encourageants :

23 janvier 1892 : communication à la Société de Biologie de Richet et Héricourt, « Note sur les effets de la tuberculose aviaire vaccinant contre la tuberculose humaine chez les singes et les chiens », 1892, pp.58-60

4 avril 1892 : communication à l’Académie des Sciences par Verneuil sur une note de Richet et Héricourt, « La vaccination tuberculeuse sur le chien », 1892, CXIV, pp.854-857

7 juin 1892 : communication à l’Académie des Sciences sur une note de Richet et Héricourt, « La vaccination tuberculeuse chez le chien », 1892, CVIV, pp.1389-1392

14 novembre 1892 : communication à l’Académie des Sciences par Verneuil sur une note de Richet et Héricourt, « Influence sur l’infection tuberculeuse de la transfusion du sang des chiens vaccinés contre la tuberculose », 1892, CXV, p.842

Mais peu à peu les cultures de bacille aviaire se modifièrent. Ils ne savaient plus différencier le bacille aviaire du bacille humain. Ils pensaient à une mutation du bacille. Ils refirent leurs expériences avec un bacille aviaire venant du faisan, mais ils ne retrouvèrent pas la variété atténuée qui leur avait donné autant de succès. Ils s’orientèrent alors vers une vaccination directe de la tuberculose humaine chez les animaux. Ils utilisèrent des cultures atténuées par le vieillissement ou le chauffage, ou par des doses extrêmement faibles, ou encore en faisant intervenir des bacilles morts ou les toxines stérilisées. Aucun résultat satisfaisant ne put être montré.

Richet et Héricourt arrêtèrent leurs expériences sur la sérothérapie antituberculeuse en 1895. Ils firent une dernière communication à la Société de Biologie le 12 janvier 1895, en concluant sur le fait que de tous les sérums utilisés, le sérum d’animaux tuberculisés était le plus dangereux, et que le plus efficace était celui des animaux récemment infectés. Mais que tous les animaux avaient finis par succomber.

« Le sérum antituberculeux est encore à trouver. Mais je ne puis oublier les résultats que nous avons obtenus avec cette race de bacillose aviaire qui s’était comporté comme un véritable vaccin contre la tuberculose humaine ; et je conserve l’espoir qu’en cherchant dans cette direction, l’on trouvera le remède de l’horrible lèpre des temps modernes. » (HERICOURT, J., La sérothérapie ; historique, état actuel, bibliographie, Paris, Rueff, 1899, p.44)

Notes : Au bout de quatre années de recherches, ils avaient déjà tué 2 à 3000 chiens et 5 à 600 lapins.

D’autres médecins tentèrent d’appliquer le principe de sérothérapie au traitement de la tuberculose. Parmi ses médecins, il faut citer le professeur Maragliano, de l’Université de Gênes, qui à partir de 1895 tenta de guérir des tuberculeux avec des injections de sérums d’animaux réfractaires à la bacillose humaine ; ou encore Behring, qui la même année, annonça avoir obtenu un sérum capable de sauver des cobayes tuberculeux.

== La sérothérapie anticancéreuse ==

« Il en est un peu de la guérison du cancer comme de la direction des ballons dont la recherche toujours déçue finit par ressembler à la poursuite d’une chimère. Et cependant, non seulement le problème n’est pas insoluble, mais la solution est là sous nos yeux, vivante, indéniable » (BERETTA, César,  »De la sérothérapie dans les néoplasmes », thèse pour le doctorat de médecine, Paris, 1896, n°533, pp.8-9)

Le crabe rongeur, comme on a pris l’habitude de l’appeler, est connu depuis l’Antiquité. Dès le  »’VIIe siècle av. J.-C »’., il est décrit dans la médecine grecque. Le terme sert à désigner une grande partie des grosseurs et tumeurs suspectes, mais Hippocrate distingua trois degrés de gravités dont le dernier correspond assez bien à ce que nous appelons cancer. La théorie des humeurs était dominante. Selon ce schéma le cancer viendrait d’une surproduction de bile noire accumulée sur certains points du corps sous la forme de carcinomes ou tumeurs (selon Galien). Pendant longtemps on a alterné les méthodes interventionnistes et les traitements palliatifs, e pratiquant tantôt la saignée, tantôt la réfrigération ou l’alimentation de la tumeur (application de viande fraîche) comme s’il s’agissait d’un animal. Devant les échecs répétés, on a pris l’habitude de se réduire à soulager le malade, notamment avec l’utilisation de la cigüe.

Ce n’est qu’au  »’XIXe siècle »’ que l’on commence réellement à étudier les tumeurs. Avec Laënnec on accède à la théorie moderne cellulaire. Mais surtout c’est au XIXe siècle que s’affrontent trois écoles qui se disputent pour l’honneur de résoudre cette maladie. Tout d’abord l’ »’Ecole diathésique »’, dont les représentants sont Aristide Verneuil suivi notamment de Bouchard. Pour eux le cancer est assimilé à une diathèse néoplasique, qui pour se manifester aurait besoin d’une cause première par exemple un trauma (Verneuil) et qui constituerait l’expression d’une maladie générale. Il y a aussi l’ »’Ecole histologique »’, pour eux le cancer ne serait qu’une maladie locale, une simple prolifération cellulaire. Et enfin il y a l’ »’Ecole parasitaire »’. Avec les découvertes de Pasteur, certains médecins étaient tentés d’assimiler le cancer aux maladies infectieuses. Cette théorie faisait polémique à l’époque où Charles Richet et Jules Héricourt tentèrent d’appliquer au cancer leur concept de sérothérapie : « La sérothérapie est le traitement d’une maladie infectieuse par le sérum de sujets vaccinés ou immunisés contre la même infection. » (Scemama de Giallouly, J.,  »Sur le traitement des tumeurs épithéliales par les injections sous-cutanées », Thèse de médecine, Paris, 1895, p.39)

Après leurs recherches sur le traitement de la tuberculose par la sérothérapie, Richet et Héricourt s’attaquèrent au traitement du cancer. Selon Richet, cette idée lui serait venue grâce (ou à cause) sa belle-sœur ( ?), Amélie Vian, qui aurait été atteinte d’une tumeur abdominale cancéreuse. Il me semble plutôt que cet intérêt pour le cancer, pas que cette histoire familiale soit fausse, soit dû surtout aux récentes recherches menés par  »’William B. Coley »’, chirurgien de l’hôpital de New York, qui en 1894 communiqua ses recherches sur le traitement des tumeurs malignes inopérables par les toxines de l’érysipèle (maladie de la peau) et du  »bacillus prodigiosus » (dans l »’American Surgical Association ») ; et surtout par l’échec des recherches de sérothérapie antituberculeuse menées par les deux hommes.

En fait les travaux de Coley furent la conséquence de l’observation que chez un malade atteint d’une tumeur, que l’érysipèle peut provoquer la régression du néoplasme. Mais ce fut qu’à partir du moment où le streptocoque de l’érysipèle fut connu, et put être cultivé, que la tentative de produire un érysipèle curateur par injection de cultures de ce microbes, put être mis à exécution par Fehleisen et Neisser. Déjà en 1891, Coley avait injecté une culture d’érysipèle dans la tumeur d’un patient atteint d’un sarcome récidivé. Il récidiva l’expérience et eut apparemment de brillant résultats. Pourtant il s’aperçut que les injections de culture n’arrivaient pas produire dans tous les cas l’érysipèle, mais aussi que deux cas mortels avaient été déclarés post-injection. Il se décida par conséquent à supprimer l’élément dangereux en détruisant le streptocoque et à stériliser les cultures. Comme ces cultures ne se montraient pas suffisamment efficaces, il les associa à des cultures stérilisées de  »bacillus prodigiosus ». Ce fut ses recherches qu’il communiqua en 1894. Malheureusement les résultats furent peu concluants.

En 1895, en Allemagne, un article publié dans le  »Deutsche Medicinische Wochenschrift », attira encore l’attention sur le traitement du cancer. Ses deux auteurs,  »’Emmerich et Scholl »’ avaient eux aussi recours aux cultures d’érysipèle mais ils utilisaient une autre méthode : ils avaient fait passer par le mouton les toxines érysipélateuses, et c’est dans le sérum de celui-ci qu’ils avaient recueilli l’agent destiné à combattre l’accroissement des tumeurs. C’était un véritable essai de sérothérapie. Une amélioration de l’état général ainsi qu’une diminution du volume des tumeurs a été noté dans la majeure partie des cas traités par eux. Pourtant leurs résultats furent contestés à la Société Médicale de Munich ainsi que par le professeur Bruns à la Société de Médecine de Berlin. Celui-ci avait entrepris de faire les mêmes expériences. Ses résultats avaient montrés que la méthode n’avait pas le moindre effet sur les tumeurs, mais encore qu’elle était dangereuse. Il avait observé un affaiblissement du cœur, de la cyanose et des vomissements chez certains patients. Emmerich et Scholl répondirent à leurs contradicteurs et pendant quelque temps le débat continua sans que le moindre nouveau fait puisse amener une solution au traitement du cancer.

En France c’est avec Charles Richet et Jules Héricourt que le traitement du cancer prit une nouvelle tournure. Ils commencèrent leurs expériences dès le début de l’année 1895. Ils injectèrent dans la veine et sous la peau de chiens, des sucs provenant de tumeurs malignes de diverses natures. Ils faisaient aussi l’expérience sur des ânes. Les animaux ne montraient aucune réaction face aux injections. Mais ils pensaient qu’ils pouvaient quand même avoir une réaction avec les toxines contenues dans les sucs (20cc. pour des chiens de 1à kg. ; 100 cc. pour des ânes de taille moyenne en injection intraveineuse). Certains animaux, après des injections répétées de 20 ccs. présentaient une cachexie spéciale caractérisée par un profond amaigrissement à laquelle ils succombaient. Les sucs épithéliomes (cavité buccale et du col utérin) provoquaient des accidents graves pour amener parfois les animaux à une mort quasi immédiate.

Le  »’10 mars 1895 »’, les deux hommes remirent aux deux chirurgiens Reclus et Terrier le sérum provenant de deux ânes, qui avaient reçu l’extrait d’un ostéosarcome enlevé le 9 février par Reclus sur un malade. Deux malades furent mis au traitement : une femme opérée en octobre 1894 et ayant une récidive, et un homme de 44 ans ayant un cancer de l’estomac.
Les résultats de ses expériences furent communiqués par une note à l’Académie des Sciences lors de la séance du  »’29 avril »’ :  »Traitement d’un cas de sarcome par la sérothérapie » (1895, CXX, pp.948-950).
Entre avril et octobre 1895, les deux hommes continuèrent leurs recherches. Les effets étaient encourageants : diminution des douleurs, amélioration des ulcérations, diminution du volume des tumeurs, l’évolution de la maladie est retardée et une amélioration de l’état général du malade ; pour autant aucune guérison totale ne fut observée. Après un, deux mois ou plus, ils établirent une accoutumance au traitement. Après l’amélioration de l’état général du patient, un mouvement rétrograde arrivait. Ils varièrent les quantités de 0,10 ccs à 20 ccs. Pour les préparations, ils utilisèrent toutes les combinaisons d’inoculations des tumeurs et de leurs sucs, ainsi que toutes les durées possibles d’immunisations. Ces résultats furent communiqués le  »’21 octobre 1895 »’ à l’Académie des Sciences :  »De la sérothérapie dans le traitement du cancer » (1895, CXXI, pp.567-569).

Pourtant entre temps, une querelle opposa les deux chercheurs et le Docteur  »’Fabre-Domergue »’ qui remit en cause l’interprétation de leurs expériences : « Ce mode de traitement [la sérothérapie] est donc rationnellement applicable aux maladies d’origine bactérienne.[…] il paraît illogique de l’appliquer empiriquement au traitement de tous les maux. C’est précisément ce que l’on est en train de faire pour les cancers » (FABRE-DOMERGUE, « Sérothérapie et cancer » in  »comptes-rendus de la Société de Biologie », Paris, 18 mai 1895, 10 s., II, p.386).

Richet, défendant son travail, se permet de répondre à Fabre-Domergue, lors de la séance suivante à la Société de Biologie (le 25 mai) :

« Notre confrère M. Fabre-Domergue a cru devoir faire des objections théoriques au traitement des cancers par la sérothérapie. Ce que valent ces objections et ces théories, je n’ai l’intention de le discuter, ni aujourd’hui ni plus tard ; en présence des faits, les théories sont bien fragiles, pour ne pas dire plus ; et c’est mal employer son temps que de s’attarder dans des discussions nécessairement stériles, quels que soient le talent et la bonne foi qu’on y mette.

Le seul point à relever, parce qu’il constitue une erreur de fait, c’est que M. Fabre-Domergue croit qu’il s’agit d’injections faites dans la tumeur même, comme dans les cas de M. Coley et MM. Emmerich et Scholl. S’il avait lu attentivement les observations de MM. Terrier et Reclus, il aurait pu voir que les injections ont été faites à distance ; ce qui détruit toute argumentation. » (RICHET, Charles, « A propos de la sérothérapie du cancer » in  »Comptes-rendus de la société de Biologie », 25 mai 1895, p.393)

La querelle prendra fin avec l’intervention de Fabre-Domergue lors de la séance du 1er juin :  » En ce qui concerne l’opinion qu’émet M. Richet sur la « fragilité des théories en présence des faits », je prendrai la liberté de lui faire observer que je n’ai pas voulu proposer une théorie du traitement sérothérapique des cancers, mais seulement une interprétation histologique et physiologique de tout un ensemble de phénomènes auxquels il a attribué une autre signification. Il a donné à ces phénomènes une signification physiologique. Ce n’était pas faire œuvre stérile que rapprocher des faits extrêmement instructifs et d’en tirer une conclusion. Je dois ajouter que si par la suite MM. Héricourt et Richet apportent des résultats plus probants, confirmatifs de leur manière de voir, je serai heureux de reconnaître que mon interprétation était erronée et que l’on peut espérer encore des résultats inattendus de la sérothérapie. » (FABRE-DOMERGUE, « A propos de la sérothérapie du cancer » in  »Comptes-rendus de la Société de Biologie », Paris, 1er juin 1895, 10 s., II, pp.418-419, p.418-419)

Les expériences de sérothérapie de Richet et Héricourt furent, par la suite, testées par d’autres médecins comme le Dr. Boinet de Marseille ou le Dr. Ferré de Bordeaux. Mais le premier médecin a avoir testé la méthode Richet et Héricourt fut le Dr. Boureau, de Tours. Il fit des expériences sur sept cas de cancers avec des injections de sérum d’âne. Il communiqua ses travaux à la Société de Biologie à la séance du 27 juillet 1895. Il en conclut que la méthode Richet/Héricourt n’était pas curative du cancer mais qu’elle était le meilleur traitement connu jusqu’alors. (BOUREAU, « Essais de sérothérapie contre le cancer » in  »Comptes-rendus de la Société de Biologie », 27 juillet 1895, pp.599-600)

Richet et Héricourt lui répondent lors de cette même séance : « Remarques à propos de la note de M.Boureau sur la sérothérapie des néoplasmes in  »Comptes-rendus de la Société de Biologie », pp.600-601.

« Héricourt et moi, nous faisons tous nos efforts pour suffire aux demandes d’ampoules qui nous venaient chaque jour. Mais il y avait des difficultés de toutes sortes ; dont la moindre n’était pas la médiocre bonne volonté des chirurgiens à me donner les tumeurs dont je voulais faire des extraits pour immuniser des chiens » (RICHET, Charles,  »Souvenirs d’un physiologiste », pp.92-93)

« Pendant deux mois c’est à peine si je pouvais dormir, tellement j’étais convaincu d’avoir enfin trouvé la guérison de l’affreuse maladie » (idem)

Finalement, la sérothérapie anticancéreuse ne fut pas le remède miracle contre le cancer. On ne l’utilisait qu’en complément d’une intervention chirurgicale, soit avant pour préparer l’opération, soit pour prévenir une récidive.

Parallèlement à la sérothérapie anticancéreuse, Héricourt et Richet continuèrent leurs recherches sur le traitement de la tuberculose. C’est d’ailleurs l’une de leurs expériences qu’ils expérimentèrent la  »’zomothérapie »’.

Vers la fin de sa vie, Richet visita l’hémostyl Roussel qui produisait 20 000 ampoules de sérums par jours (40 ans après leurs expériences) et employait 1000 personnes.

Durant les expériences de 1895, Héricourt entretient de la correspondance avec les divers expérimentateurs du sérum. Celle-ci fut remise à César Béretta pour sa thèse ( »De la sérothérapie dans les néoplasmes », thèse de médecine, Paris, 1896, n°533)

Voir aussi l’article sur Gibier

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