Se rapporte à l’Oeuvre des enfants tuberculeux de Touraine
DISCOURS DU Dr TRIAIRE
VICE-PRESIDENT DE L’ŒUVRE DES ENFANTS TUBERCULEUX DE TOURAINErégion More
Mesdames, Messieurs,
Je dois à l’honneur de vous recevoir ici le devoir de vous remercier de l’empressement avec lequel vous avez répondu à l’appel du Comité de l’œuvre des Enfants Tuberculeux, et celui de vous exposer, en quelques mots rapides, la conception de cette Œuvre qui a abouti à la création du SanatoriumÉtablissement spécialisé dans le traitement de la tubercu… More de Tourainerégion More.
Cet établissement est consacré, vous le savez, au traitement des enfants phtisiques. Mais sa création a éveillé une objection, qui a été formulées par des personnes qui ne sont pas parfaitement au courant des graves et intéressantes questions que soulève le problème de la tuberculose. – « Pourquoi, en effet, a-t-on dit, créer à grands frais un hôpitalÉtablissement public habilité à recevoir les malades, les… More spécial pour les phtisiques ? La tuberculose est une affection très ancienne, qui a toujours existé, qui existera toujours ; un mal dont il faut, comme tant d’autres, prendre son parti, et qui doit être traité comme les maladies ordinaires dans des hôpitaux communs. » Telle est la nette objection qui nous a été le plus souvent adressée.
Messieurs, elle ne tient ni devant la science, ni devant le raisonnement, ni devant les faits, ni devant l’expérience, ni même devant, et ce seul argument suffirait à la rigueur, ni-même, dis-je, devant les traditions et les règlements hospitaliers.
La tuberculose n’est pas, en effet, une affection comme une autre. Elle est la plus meurtrière des maladies. Sa contagiosité explique son extraordinaire propagation. Rien qu’en France, elle fournit à la mortalité 150,000 victimes, dont 11,000 appartiennent à la population parisienne ; c’est-à-dire qu’elle fait à elle seule plus de ravages que toutes les maladies épidémiques réunies, plus que toutes les guerres n’ont pu en faire depuis le commencement du siècle et que, malgré la diversité de nos âges et de nos tempéraments, il n’est pas un d’entre nous qu’elle ne guette, s’il ne prend pas les précautions nécessaires pour se défendre contre elle.
Sans doute, on devrait penser qu’un tel fléau qui dépasse en catastrophes les plus grandes et les plus redoutables épidémies, qu’un mal qui prélève une dîme aussi considérable sur une population dont on entend regretter tous les jours le progressif amoindrissement par la constante diminution de la natalité, qu’une affection dont l’étude a été poussée si loin, dont les origines, l’évolution, le mode de transmission, les indications thérapeutiques et hygiéniques sont connus, est l’objet des précautions sanitaires les plus minutieuses, et que toutes les mesures sont prises pour entraver son développement, sa propagation, et pour sauver l’humanité qu’elle menace.
Messieurs, il faut, pour répondre à cette question, se placer sur un terrain pratique, et je vous invite à vous transporter avec moi au foyer d’un tuberculeux pauvre. Plus d’un d’entre vous a accompli ce charitable et précieux pèlerinage et le tableau que je vais vous tracer n’est pas fait pour le surprendre. Dans une ou deux pièces plus ou moins élevées, plus ou moins spacieuses d’un quartier ouvrier et marchand, froides en hiver, brûlantes en été, dans des conditions d’aération, d’exposition et d’hygiène ambiantes le plus souvent détestables, vit une famille ouvrière composée de cinq personnes : un homme et quatre enfants. La mère est morte de la poitrine ; le père travaille au dehors ; l’aînée des enfants, une jeune fille âgée de quinze ans, déjà dressée par la longue maladie de la mère aux travaux domestiques, est prématurément maîtresse de maison. Elle fait le ménage, les commissions, habille et soigne ses frères et sœurs en bas âge. C’est une bonne enfant, travailleuse, très raisonnable pour son âge et qui a la nette conscience du devoir qui lui incombe. Mais, sous l’influence du travail exagéré, par suite des privations, voici que la terrible hérédité se révèle. Un jour, elle se met à tousser, elle perd l’appétit et sent diminuer ses forces. Elle dépérit, ses traits s’affinent et revêtent cette expression de mélancolique et sympathique douceur, sorte de transfiguration pathologique qui accuse la présence de la redoutable lésion et semble la parure suprême, l’ultime coquetterie de la nature au moment où elle prémédite de livrer la jeunesse à la mort.
A ce moment cependant, la petite malade pourrait encore être sauvée ? Le mal est à ses débuts et, avec les moyens dont dispose aujourd’hui la science, avec les nouvelles médications, la guérison serait peut-être possible. – Possible, cela est vrai, mais il s’agit pourtant de la plus longue, de la plus délicate, de la plus difficile des cures, et ce n’est pas ici qu’elle est réalisable cette cure, dans ce misérable réduit où tout manque : air, soleil, nourriture, hygiène, et où chacun de ces éléments de la vie, altéré dans sa propre substance, retourné contre sa fin dernière, conspire en faveur de la mort. Vous songez avec un profond sentiment de regret au midi, à la campagne, aux sanatoria récemment établis dans quelques contrées privilégiées et dont vous avez entendu parler, enfin à toutes les ressources qui sont devenues banales dans le traitement de ces affections ; mais vous êtes obligés de revenir de ces châteaux en Espagne, et vous vous arrêtez en gémissant à l’idée de l’hôpitalÉtablissement public habilité à recevoir les malades, les… More.
L’hôpitalÉtablissement public habilité à recevoir les malades, les… More, cela est naturel, mais on voit bien que vous ne connaissez pas l’organisation de nos établissements hospitaliers. Les hôpitaux spéciaux d’enfants ne reçoivent pas de phtisiques, à cause de l’éventualité de la contagion, et aussi, sans doute, à cause de la durée trop longue de la maladie. Les hôpitaux généraux ne les admettent pas davantage.
Ils les refusaient autrefois comme incurables, ils les refusent aujourd’hui comme contagieux. Je pense que la raison de cherté et d’encombrement par les maladies aiguës exerce aussi son influence. Aussi, en insistant beaucoup, obtiendrez-vous peut-être pour votre petite protégée un séjour de quelques semaines. Mais, si, au bout de ce temps, l’état de la malade s’est un peu amélioré ou s’il n’est pas notablement aggravé, on la fera sortir et vous vous trouverez dans la même situation.
Il faut donc que cette intéressante enfant reste dans le milieu fatal où elle a contracté le germe de sa maladie ; il faut que, malgré la sollicitude de votre charité, malgré les soins dont elle est entourée, malgré la pitié de tous ceux qui l’approchent, malgré la nature qui sourit à sa jeunesse ; il faut qu’elle poursuive les stations du calvaire de sa douloureuse maladie ; il faut, enfin, qu’elle meure ; il faut plus encore, il faut qu’avant de mourir elle devienne une source d’infection pour ses frères et sœurs qui peut-être devront à leur tour la suivre dans la tombe.
Cet exemple si topique, que j’ai choisi parmi un des plus touchants, est loin d’être isolé. Il se répète fréquemment, et il n’est pas de dame de charité, il n’est pas de médecinPersonne habilitée à exercer la médecine après avoir ét… More qui ne l’ait observé. Il constitue une réponse suffisamment péremptoire aux objections qui ont été adressées à l’Œuvre des Enfants tuberculeux.
Mais, Messieurs, quel est donc le moyen de restreindre les progrès de ce fléau, de le circonscrire, de l’enrayer, en attendant qu’on obtienne sa disparition. Quel est aussi le moyen de soulager les misères tragiques qui trop longtemps ont laissé impuissants les cœurs les plus compatissants et les âmes les plus généreuses.
Il n’en est pas d’autres, tous les hommes compétents sont d’accord à ce sujet, que celui qui consiste à recueillir dans des établissements spéciaux les phtisiques et, particulièrement, les enfants suspects de phtisie, les tuberculisables, ceux que l’on appelle, par un douloureux euphémisme, les candidats à la tuberculose, de les soigner et de les garder jusqu’à ce que la guérison soit complète. L’établissement de Villepinte, celui d’Ormesson ont été créés dans ce but, il y a peu d’années, et sont aujourd’hui en pleine prospérité.
Issus directement du Comité médical qui a fondé Ormesson, nous avons procédé comme les illustres confrères qui nous ont tracé la voie, et notre premier acte (il est toujours vrai que la marche est la meilleure démonstration du mouvement) a été de créer en Tourainerégion More un asile pour les jeunes tuberculeux. Pour la détermination géographique de l’établissement nous ne pouvions guère être embarrassés. Il existe, en effet, aux environs de Tours un point spécial et privilégié qu’Esquirol et Trousseau désignaient déjà, il y a cinquante ans, à Bretonneau, pour y installer des phtisiques. Ce point est situé sur les pentes étagées de Marmoutier. C’est là, sur ces collines célèbres, qui sont formées de la poussière de l’histoire, et ont été foulées aux pieds par des saints, des héros, des savants et des rois, que, par un de ces contrastes frappants auxquels se plait l’évolution des choses, nous avons établi l’asile paisible et champêtre de nos jeunes malades.
Adossé au rocher séculaire, étagé en terrasses très élevées au-dessus du niveau de la Loire, abrité des vents du nord par la pente douce du coteau, présentant au midi sa façade qu’illuminent les premiers et les derniers rayons du soleil, ayant à l’est les ruines du vieux monastère, et à l’ouest la Cité Tourangelle, cet asile réalise toutes les exigences du sanatoriumÉtablissement spécialisé dans le traitement de la tubercu… More modèle, et nous ne pensons pas qu’il y en ait un au monde qui puisse offrir d’aussi merveilleuses conditions d’exposition et de salubrité.
C’est là que, grâce à vous, Mesdames et Messieurs, grâce à quelques membres de ce Comité, dont la traditionnelle bienfaisance vous est bien connue, et aussi grâce au dévouement inaltérable de son président, M. le Dr Chaumier, et à la générosité d’une femme de bien, aussi admirable dans sa charité que modeste et simple dans sa vie, nous avons pu recevoir dix à douze enfants, qui sont nos hôtes actuels. Ils sont douze, aujourd’hui ; ils seront cinquante, dans six mois ; cent, plus tard, si vous le voulez. C’est le cas de vous rappeler, Mesdames, la célèbre allocution de saint Vincent de Paul aux Dames de son temps, qu’il avait réunies pour leur proposer une bonne œuvre :
« Or sus, Mesdames, vous êtes des juges : si vous le voulez, ces enfants vivront ; si vous ne le voulez, ils sont morts. »
Les Dames entendirent et voulurent, et l’hospice de la Salpêtrière fut fondé.
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