Discours du Dr Chaumier lors de la séance générale annuelle de 1894

Se rapporte à l’Oeuvre des enfants tuberculeux de Touraine

DISCOURS DU Dr CHAUMIER
PRESIDENT DE L’ŒUVRE DES ENFANTS TUBERCULEUX DE TOURAINE

Mesdames, Messieurs,

Après les paroles si touchantes de M. Triaire, je m’exposerais à répéter – d’une façon beaucoup moins parfaite – ce qu’il vient de dire, si je vous entretenais longuement du but de notre Œuvre.

Ce but, vous le connaissez, puisque vous vous êtes joints à nous dès la première heure, dès que nous avons poussé le cri d’alarme.

Nous vous avions exposé alors l’étendue du mal, nous vous avions montré qu’à Tours, d’après les statistiques municipales, presque le tiers des décès devait être attribué à la tuberculose ; le tiers, chiffre très loin d’exprimer le nombre réel des tuberculeux ! Beaucoup de ces malades, en effet, rendus plus vulnérables, succombent à une maladie intercurrente et sont classés sous une autre rubrique dans les tables de mortalité.

Beaucoup aussi guérissent, et c’est là pour nous le point capital.

En venant à nous, vous aviez compris l’importance de ce grand mouvement de défense sociale contre le fléau de la tuberculose, qui s’est manifesté dans tous les pays civilisés.

Vous saviez qu’il y a quelques années, l’Œuvre de la Tuberculose a groupé tous ceux qui cherchent les moyens de détruire le mal. Cette œuvre a à sa tête l’infatigable professeur Verneuil, toujours sur la brèche malgré ses soixante-dix ans. Le Congrès de la Tuberculose est le complément de cette œuvre.

Vous saviez que, de tous côtés, surtout sous l’impulsion du Dr Armaingaud – le père des sanatoria – il se construisait, au bord de la mer ou dans les montagnes, des hôpitaux pour les enfants atteints de tuberculoses locales.

Armaingaud, qui a fondé le Sanatorium d’Arcachon, en grande partie avec ses propres ressources, a créé aussi la Ligue contre la Tuberculose, dont le but est de faire connaître par des conférences les moyens à opposer au terrible mal.

M. Triaire vous a dit un mot de l’œuvre d’Ormesson, sœur aînée de la nôtre, aînée de quelques années seulement, et qui a déjà recueilli bon nombre d’enfants.

Il vous a également entretenu de Villepinte, asile pour les jeunes filles poitrinaires.

Vous saviez qu’à l’Etranger, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Italie surtout, il s’était fondé de nombreux sanatoria dans lesquels on reçoit, pendant la belle saison, les enfants chétifs des villes, les scrofuleux, tout ceux qui commencent à souffrir de la phtisie, et qui, dans leur pauvreté, n’ont pas le moyen d’aller respirer l’air pur sur les plages les plus courues.

Vous saviez encore qu’en Allemagne, en Suisse, en France, à Falkenstein, à Davos, au Leysin, au Canigou, ailleurs encore, il s’était fondé des sanatoria pour les phtisiques riches.

Vous saviez tout cela et vous avez voulu, vous aussi, combattre la tuberculose de toutes vos forces. Nous vous avons tendu la main pour les petits tuberculeux pauvres ; nous vous avons dit que nous les guéririons ; que nous rendrions à la société des hommes forts et vigoureux, – et vous avez répondu à notre appel. Grâce à vous nous avons pu fonder le Sanatorium de Touraine.

C’est au mois de décembre 1890 qu’il a été question, pour la première fois, de fonder dans les environs de Tours un asile pour les enfants tuberculeux pauvres.

La nécessité s’en faisait tellement sentir que les adhésions nous sont arrivées nombreuses dès les premiers jours.

Les journaux de Tours ont bien voulu nous prêter leur puissant appui, et, au mois d’avril suivant, nous pouvions faire une première réunion des adhérents présidée par le Dr Hérard, ancien président de l’Académie de Médecine, médecin honoraire des hôpitaux de Paris, un des phtisiologues les plus distingués.

Vous vous rappelez la conférence de Léon Petit, et son plaidoyer si éloquent en faveur de l’Œuvre des Enfants tuberculeux.

Nos appels multipliés avaient amené quelque argent dans notre caisse, alors gérée par le regretté M. Chollet.

Cet argent, il fallait l’employer ; il fallait, malgré la modicité de nos ressources, prouver, en réunissant quelques enfants à l’air et au soleil, tout le bien que notre Œuvre pouvait faire.

Armaingaud avait déjà employé cette méthode avant la fondation du sanatorium d’Arcachon. Il vendait des petites brochures sur le moyen de combattre la phtisie, et avec le produit de la vente il louait un chalet dans la forêt, y logeait, chaque année, quelques enfants et montrait les résultats.

Nous n’avions pas assez d’argent pour bâtir ou pour acheter ; il fallait louer, nous aussi ; mais il ne s’agissait pas de louer la première maison venue.

Il est vrai qu’on peut faire la cure d’air partout. Désagréable l’hiver dans le Nord, et l’été dans le Midi où la trop grande chaleur enlève l’appétit si nécessaire aux malades, elle est plus praticable en Touraine où nous n’avons ni les trop grands froids, ni les trop grandes chaleurs ; mais, en Touraine, comme ailleurs, il y a des endroits préférables.

Nous avons beaucoup cherché. Tous les membres du Comité se sont mis en campagne. Il n’est guère de propriété des environs de Tours que nous n’ayons visitée ; mais sitôt qu’on savait qu’il s’agissait d’une œuvre charitable, on doublait les prix.

Nous ne voulions pas de la vallée humide, quelquefois brumeuse, et pouvant être submergée. Nous hésitions à choisir le plateau.

Un seul endroit nous tentait, c’était le coteau de la Loire exposé au midi. Nous aurions voulu placer là le sanatorium, à l’abri des vents du nord et garanti par des arbres de la trop grande chaleur. Nous aurions voulu avoir une de ces terrasses à mi-côte où la végétation est de quinze jours plus précoce qu’ailleurs ; où, l’hiver, on a chaud au moindre rayon de soleil ; où l’on est, pour ainsi dire, en espalier sur le flanc du coteau.

A force de peines et de démarches nous sommes parvenus à avoir ce que nous souhaitions ; et, au mois d’avril 1892, nous installions quatre petites filles avec deux religieuses dans la propriété du Petit-Bois à Sainte-Radegonde.

Mais, au Petit-Bois, prenant une fin de bail, nous n’avions devant nous que dix ou onze mois. Nous comptions sur la Providence pour trouver un autre local. Au Petit-Bois, du reste, l’espace était insuffisant, et l’Œuvre ne pouvait y prendre aucune extension.

Cet espoir ne fut pas déçu, et, le 24 mars 1893, notre sanatorium naissant était transporté dans une propriété voisine aussi bien exposée, sinon mieux, que le Petit-Bois, et assez grande pour permettre à l’Œuvre des Enfants tuberculeux de Touraine de prendre toute l’extension désirable.

Le local actuel nous permet d’avoir vingt-cinq enfants ; mais, lorsque, grâce à la générosité de nos adhérents, nous aurons acheté la propriété et bâti l’établissement que notre architecte a déjà étudié en détail, nous pourrons recevoir plusieurs centaines de malades.

Jusqu’au jour où notre rêve sera une réalité, il faudra faire la propagande la plus active ; il faudra que vous vous liguiez tous pour obtenir de nouvelles adhésions et pour recueillir de grosses sommes, sachant que vous faites là une œuvre chrétienne et patriotique.

J’oublie que mon rôle n’est pas de vous entretenir de nos espérances, mais de vous rendre compte des résultats obtenus au sanatorium.

Nous avons donc débuté avec deux religieuses donnant les soins les plus dévoués à quatre petites filles.
Dès que la chose a été possible, nous avons augmenté le nombre des enfants ; et, bientôt, malgré le dévouement sans bornes des bonnes religieuses elles n’ont pu suffire à la besogne et ont dû appeler à leur aide une autre de leurs sœurs.

Jusqu’à ce jour nous avons donné asile à vingt-deux petites filles et à quatorze garçons. Malheureusement, les parents ont de la tendance à nous réclamer leurs enfants dès qu’ils sont mieux. Ils ne comprennent pas la longueur du temps nécessaire pour arriver à éteindre le germe du mal ; ce qui explique que, sur trente-six enfants, il ne nous reste que treize pensionnaires.

Bien que la cure d’air soit chose capitale, nous avons pensé qu’on ne devait pas négliger les autres moyens d’action.

Les remèdes prônés contre la phtisie sont nombreux ; la plupart ont eu leur temps de grandeur et de décadence.

Longtemps, M. Triaire et moi, nous nous sommes demandé à quel remède nous donnerions la préférence.
Un seul avait produit des résultats certains : la créosote. Mais la créosote est irritante et toxique. Mal supportée par les adultes, on ne pouvait, chez l’enfant, l’employer qu’à doses trop minimes pour espérer un résultat.

Nous eûmes la pensée d’employer un composé de la créosote qui venait d’être découvert et que personne n’avait songé à utiliser : le carbonate de créosote. Ce médicament a toutes les qualités de la créosote sans en avoir les inconvénients. Il n’est ni toxique, ni irritant et peut être employé à hautes doses, même chez l’enfant ?

Grâce à ce remède nous avons eu des succès vraiment remarquables.

Ne pouvant vous faire l’histoire de tous nos petits malades, je ne vous parlerai que de deux d’entre eux : une fille et un garçon.

La petite fille, âgée de six ans et demi, est entrée au sanatorium dans un état très grave.

Un établissement ayant souci de sa réputation et craignant d’avoir à son actif des décès en fin d’année aurait hésité à la recevoir.

Au bout de peu de temps cette petite fille ne toussait plus, et, en quelques mois, ses lésions pulmonaires avaient disparu. Le premier mois, elle avait engraissé de 4 livres ; en six mois, de 8 livres ; alors qu’une petite fille bien portante du même âge n’augmente guère que de 3 livres par an.

Le cas du petit garçon est tout aussi remarquable. A côté de lésions pulmonaires plus légères, il est vrai, cet enfant présentait une laryngite tuberculeuse des mieux caractérisées.

Les symptômes étaient allés s’accentuant de plus en plus au point qu’on songeait à la trachéotomie.

Les premières nuits, les religieuses étaient absolument effrayées, ayant peur à chaque instant de voir succomber le petit malade.

Au bout de quelques jours le mieux se manifestait déjà, et maintenant le petit garçon, presque complètement guéri, n’a conservé qu’un peu d’enrouement.

Nous n’avons pas cru devoir garder pour nous de tels résultats, et je les ai rendus publics dans des communications à l’Académie de Médecine et au Congrès de la Tuberculose.

Tels sont les résultats que nous obtenons au Sanatorium de Touraine ; ne nous ménagez pas votre aide et votre argent, nous tâcherons de faire mieux encore.

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